L'extrait qui concerne le passage
Il s'en fallait pourtant que tout fût édifiant dans le faubourg; la galanterie avait pendu la crémaillère dans l'un au moins de ses petits hôtels, et le passage du Désir servait d'avenue à ce lieu de plaisir. Comme il n'en sortait pas d'amour au désespoir, il n'y avait un puits à moitié chemin que pour la véritable soif; de pauvres gens y noyaient l'autre en remplissant leurs seaux, dans ce qui pour eux était l'allée du Puits. Une construction d'avant 89, mais postérieure ù la première, a réduit à l'état de servitude de passage l'avenue, maintenant publique ; la plus ancienne des deux est la maison passée n" 59 boulevard de Strasbourg, qui n'est pas moins que l'autre d'héritage séculaire pour M. Cadet de Chambine, à l'exception du jardin qui s'y rattache.
Source : Les anciennes maisons de Paris, M. Lefeuve, 1863
S'il se trouvoit plusieurs gens de bien, ecclésiastiques ou séculier, qui désirent de vivre un peu à l'écart du grand monde, les prêtres de la Mission de Saint-Lazare seraient assez disposés à leur procurer à bon compte, près de leur église, un logement sain et commode, une grande cour, un beau jardin, une maison de campagne et toutes les autres choses nécessaires à la vie, tant en santé qu’en maladie.
Toutefois le faubourg Saint-Denis n'offrait déjà plus un désert quand l'idée était venue de cette spéculation, à l'importance de laquelle n'atteignent pas encore par ce temps-ci les grandes compagnies purement immobilières. Par exception, un demi-arpent de marais se cultivait encore en 1747 à l'autre angle de la rue de Paradis, et le jardinier en était Jean Fromentin, à demeure rue Bergère. Avant la fin du règne de Louis XIV il y avait déjà 94 maisons, depuis la porte Saint-Denis jusqu'où passe le nouveau boulevard du Nord et 64 plus haut.
Parmi celles-ci figurait le séminaire de Saint-Charles, succursale des lazaristes pour les retraites ecclésiastiques et villa de convalescence pour leurs congréganistes malades. Partiellement s'en revoient les bâtiments du 167 au 177, que précédait et contournait à gauche un vaste enclos, dit longtemps le Clos Saint-Lazare ; la chaussée leur donnait pour vis-à-vis plusieurs moulins. Lorsque les ailes de ces machines à moudre eurent pris leur volée sur des hauteurs plus reculées, MM. de Saint-Lazare, propriétaires du terrain, le concédèrent à des particuliers, notamment à Legrand, intéressé dans les affaires du roi, et ce capitaliste s'y donna un hôtel à moitié de campagne.
Vous retrouveriez un peu plus bas, du même côté, les deux portes qu'avait la foire Saint-Laurent sur la rue du Faubourg-Saint-Lazare. On appelait encore ainsi au commencement de l'Empire la seconde moitié de notre rue du Faubourg-Saint-Denis. D'importantes industries popularisaient à cette époque la voie supérieure. Nous en pouvons citer la manufacture de bijoux en acier dont Chaix était le chef, les fabriques de porcelaine de Schœlcher et de Fleury, la brasserie de Cherbeau, la boulangerie de la garde de Paris, et elles ne chômaient plus neuf ou dix mois sur douze, comme la foire Saint-Laurent.
II est vrai que le faubourg Saint-Denis proprement dit ne demeurait pas en reste, sous ce rapport. Les victoires d'Eylau et de Friedland occasionnaient des illuminations, dont l'entreprise générale avait pour siège les anciennes Petites-Écuries du roi. Une filature de coton s'exploitait aussi dans la cour où s'étaient remisées les voitures de cérémonie de la monarchie et qui ne cesse pas encore d'avoir une de ses trois issues sur la rue dont nous vous parlons. Celle-ci, sur d'autres points, façonnait des chapeaux de paille, démocratisait la porcelaine, et le commerce s'y approvisionnait de la gaze de Renouard, des dentelles de Corne-de-Cerf, des éventails de Mauvage.
La verdure ne se montrait déjà plus qu'à un petit nombre de fenêtres, garnies de pots de fleurs, dans cette voie inférieure où Ninon de Lenclos avait eu sa maison des champs, à la place même des Petites-Écuries, Plus d'une façade y dissimulait encore un jardin avant la Révolution; mais c'est par erreur que deux ou trois de nos devanciers y ont placé les hôtels d'Espinchal, Tabari et Jarnac, au détriment d'une rue parallèle, celle du Faubourg-Poissonnière.
Un d'Espinchal a demeuré quand même dans celle du Faubourg-Saint-Denis. Est-ce, comme on l'a dit, à l'autre coin de la rue des Petites-Écuries? Tous les membres de cette famille ayant émigré, la confiscation dut faire passer leurs biens en d'autres mains, sans anciens titres de propriété. (…)
Nous croyons, quant à nous, que le comte ou vicomte d'Espinchal du faubourg Saint-Denis, au lieu d'y venir après les Petites-Écuries, occupait l'un des petits hôtels de la ligne opposée. Deux grandes maisons y appartenaient en 1780 à Lourdet de Santerre, maître-des-comptes, puis auteur dramatique: seize autres maisons le séparaient de la Porte-Saint-Denis. (..) La vingt-deuxième maison de la rangée était grande également et à l'abbé Tiriolles. Monsieur Chabot avait la sienne entre cet abbé véritable et un bourgeois du nom de Labbé. La troisième porte plus haut ouvrait sur la maison profonde, mais étroite, de M™" de Surville. La dixième d'ensuite et la quinzième ne manquaient pas d'ampleur; l'une était à M. Pérot, l'autre aux religieuses annonciades établies à Saint-Denis.
Il s'en fallait pourtant que tout fût édifiant dans le faubourg; la galanterie avait pendu la crémaillère dans l'un au moins de ses petits hôtels, et le passage du Désir servait d'avenue à ce lieu de plaisir. Comme il n'en sortait pas d'amour au désespoir, il n'y avait un puits à moitié chemin que pour la véritable soif; de pauvres gens y noyaient l'autre en remplissant leurs seaux, dans ce qui pour eux était l'allée du Puits. Une construction d'avant 89, mais postérieure ù la première, a réduit à l'état de servitude de passage l'avenue, maintenant publique ; la plus ancienne des deux est la maison passée n" 59 boulevard de Strasbourg, qui n'est pas moins que l'autre d'héritage séculaire pour M. Cadet de Chambine, à l'exception du jardin qui s'y rattache.
En revanche, les plaisirs élégants ne se prenaient guère au-delà de la rue de la Fidélité. On y reconnaît d'anciennes dépendances de l'établissement des Sœurs Grises. Une croix se dressait devant la porte de ces Filles de la Charité, comme devant la porte de Saint-Lazare. M"" Louise de Marillac, qui était la sœur de Legras, secrétaire des commandements de Marie de Médicis, avait fondé, avec saint Vincent-de-Paul, celle maison religieuse, qui desservait et les Enfants-Trouvés et l'hospice du Nom-de-Jésus, en élevant des orphelines au n° 139 de notre rue. Du reste, leur admirable institution n'ayant pas tardé à se généraliser, les services rendus par elle s'étaient étendus à toute la France. Chez les dames grises, après cinq ans d'épreuves, les novices étaient admises à prononcer des vœux simples, renouvenables le 25 mars de chaque année. En 1792, le bureau général de bienfaisance de la Commune de Paris fit en vain des efforts pour empêcher l'expropriation de ces sœurs de Charité ; la vente de leur propriété eut lieu les 27 brumaire et 4 frimaire an V, avec réserve dans le cahier des charges pour l'ouverture de la rue de la Fidélité. L'édifice principal de l'établissement fut affecté à la maison de santé Dubois, que la Ville a transférée depuis dans le haut de la rue.
Il y avait encore une autre croix à la hauteur de la rue de l'Échiquier : marque probable du fief des Filles-Dieu. C'était l'ancien domaine conventuel des religieuses dudit nom, et elles y édifièrent sous Louis XIV, afin de les donner à bail, des maisons en assez grand nombre pour qu'il y en eût une près de l'entrée des Petites-Écuries, à l'image du Vert-Galant. Jean-Joseph Henry, avocat en parlement était fondé de pouvoir par les filles-Dieu, en 1764, pour régler à l'amiable des différents de mitoyenneté avec son confrère Pierre-Claude Cossart, propriétaire contigu aux filles-Dieu, c'est-à-dire au n°65, qui eut pour successeur M. Gastellier, bisaïeul maternel de l'auteur de ce livre.
Mais surtout quelle rue carrossière que celle du Faubourg-Saint-Denis vers la fin de l'Ancien Régime ! La veuve Loisel y louait des voitures de maître, avant qu'un hôtelier vînt prendre ou plutôt partager sa place, à l'enseigne du Lion-d'Argent, et, qui plus est, le bureau général des fiacres faisait presque vis-à-vis au Lion, dans une maison qui porte en ce moment le n° 48. Les messageries Touchard remplacèrent les fiacres, dans leur siège administratif, alors que le gouvernement directorial touchait à son terme ; leur service embrassait toutes les grandes directions ; mais elles avaient eu pour aînées des messageries à destinations plus rapprochées, qui parlaient du passage du Bois-de-Boulogne et du Lion-d'Argent. Ne prenait-on même pas au pied de la porte Saint-Denis les véhicules populaires dits coucous pour Saint-Denis, Montmorency, Écouen et Gonesse ? Les carrosses royaux allaient plus vite, mais sortaient moins souvent et ne prenaient jamais de surcharge, tandis que les petites voitures de la banlieue avaient beau être pleines à en crever, on ne cessait d'y monter en lapin que quand le marche-pied était pris.